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  • Photo du rédacteurNadia Thuilliers

Les trois tamis de Socrate pour parler du harcèlement et des ragots avec les enfants.

Dernière mise à jour : 17 janv.




Voici le texte des trois tamis, fable apocryphe, tirée de les Philo-fables de Michel Piquemal, sur laquelle je vais baser ma réflexion aujourd'hui.

"Un jour, un homme vint trouver le philosophe Socrate et lui dit:

- Écoute, Socrate, il faut que je te raconte comment ton ami s'est conduit.

- Je t'arrête tout de suite, répondit Socrate. As-tu songé à passer ce que tu as à me dire au travers de trois tamis?

Et comme l'homme le regardait d'un air perplexe, il ajouta:

- Oui, avant de parler, il faut toujours passer ce qu'on a à dire au travers de trois tamis. Voyons un peu! Le premier tamis est celui de la vérité. As-tu vérifié que ce que tu as à me dire est parfaitement exact?

- Non, je l'ai entendu raconter et ...

- Bien! Mais je suppose que tu l'as au moins fait passer au travers du second tamis, qui est celui de la bonté. Ce que tu désires me raconter, est-ce au moins quelque chose de bon?

L'homme hésita, puis répondit:

- Non, ce n'est malheureusement pas quelque chose de bon, au contraire …

- Hum! dit le philosophe. Voyons tout de même le troisième tamis. Est-il utile de me raconter ce que tu as envie de me dire?

- Utile? Pas exactement …

- Alors n'en parlons plus! dit Socrate. Si ce que tu as à me dire n'est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère l'ignorer. Et je te conseille même de l'oublier …"



Dans quelles situations peut-on utiliser cette fable pour réfléchir? Pour parler des ragots, des rumeurs, des bruits qui courent, des commérages, et du harcèlement scolaire. Je vais tenter de mettre à l’épreuve ces trois tamis et les nuancer, parce que ne pas prendre pour acquis ce qu’on lit est une posture philosophique nécessaire pour ne pas être influencé.

Pour réfléchir à cette fable, je vais notamment faire appel aux obstacles qu'on rencontre dans notre réflexion: les biais cognitifs et arguments fallacieux, qui correspondent au système 1 de la pensée (la pensée intuitive, rapide, émotionnelle, qui s'appuie sur des croyances, et bien d'autres choses encore), par opposition au système 2 (qui lui est plus rationnel, plus lent, qui demande de réfléchir, et d'autres choses encore).

Livre Système 1 Système 2 de Daniel Kahneman.


 

Au sujet de ces biais cognitifs et arguments fallacieux qui sèment le trouble dans notre réflexion, vous pourrez en apprendre plus avec l'excellente formation de Julien Lavenu, qui a lieu le 3 décembre 2022 (à consulter sur son site LaboPhilo pour s'inscrire et être informé.e des autres dates). Durant cette formation que j'ai suivi moi-même, vous y découvrirez le fonctionnement des biais cognitifs, les pièges tendus par la pensée, et des exercices pratiques pour les déjouer, les comprendre, et des activités à faire avec les enfants et les adolescents pour travailler ces biais cognitifs. Inscrivez-vous vite, les places partent comment des petits pains!

 

On juge souvent les ragots, le commérage, comme quelque chose de négatif. Cette fable nous propose donc une solution pour rendre notre propos plus sain, et éviter de raconter des bêtises au sujet de quelqu’un. Nous allons passer au crible les trois tamis de Socrate à l'aide d’une situation concrète, pour les mettre à l’épreuve.


Tamis n°1


La vérité me semble être un critère clé pour s’assurer de la qualité de notre propos. Mais tout dépend de ce qu’on considère comme vrai.


Si on cherche à sourcer une info, on peut tout simplement mal chercher et tout faire pour confirmer nos propres hypothèses, en occultant les thèses inverses et les points de vue différents du nôtre.

C'est le biais de confirmation qui consiste à ne donner de la valeur qu'aux hypothèses qui sont les nôtres et à dévaloriser les autres, n'y accordant que peu d'attention.

Du coup, on répondrait à Socrate que c’est vrai, alors que c’est vrai pour nous et que la méthode de recherche de la vérité était mauvaise, ou peu fondée.


Si on transpose dans une situation de la vie courante, dans le cas d'un ragot par exemple, la source du ragot peut être un ami fiable, qui source ses infos, en qui nous avons confiance (même s' il peut se tromper). En ayant une confiance aveugle en lui, ou en ayant noué une relation d’amitié privilégiée, ce lien de confiance participe à la propagation de ragots et de commérages.

Si je pense que la source de mon information est fiable, pourquoi perdre du temps à aller vérifier? On appelle ça, l'aisance cognitive.



Mettons-nous en situation. Prenons l’exemple de Hippocrite, témoin d’un acte de peu de foi qu’il condamne assurément. Attention, humour à son paroxysme!


Hippocrite: “Tu ne sais pas ce que j’ai vu?

Toi: “Non, quoi?

  • Le cheum de Socrate fricote avec la voisine.

  • Haaaaan, mais non c’est pas vrai!

  • Si si c’est vrai, je les ai vus de mes propres yeux.

  • Tu as vu quoi?

  • Stephanius a pris dans ses bras la voisine, et la regardait avec un air des plus intenses. Même qu’ils se sont fait un bisous discret.

  • Tu les as vu quand?

  • Hier soir à la sortie de L’AgoraBar. Ils étaient devant l'entrée de leur immeuble, c’est là que je les ai vus. Et évidemment, ils sont rentrés ensemble!

  • Es-tu certain des propos que tu avances? C’est grave ce que tu me dis.

  • Tu sais très bien que je ne suis pas du genre à dire une chose sans fondement. Tu peux me faire confiance.

  • C’est vrai … Diantre Hippocrite, il faut rétablir la vérité et aller le dire à Socrate!

Crédible ou pas mon potin?


Tout le monde n’aurait pas envie d’aller ragoter, mais je pars du principe qu’ici, c’est le cas, pour les raisons suivantes (qui sont réalistes).


Première raison de ragoter!


Tu souhaites le dire, non seulement parce que tu es un justicier qui va venir en aide à Socrate, mais en plus le potin est croustillant! Comment résister à l’envie d'aller crier sur les toits, de rétablir la vérité?

Alors tu vas voir Socrate pour lui raconter la dite nouvelle, tiraillé entre compassion et excitation.


(Au fond de toi tu sais déjà que tu vas débriefer avec ton BFF (meilleur.e ami.e) ce soir à l'apéro, en t'apitoyant sur le sort de Socrate, tout en te délectant d’avoir un potin croustillant à raconter! Car nous le verrons plus tard, en faisant ça, tu crées du lien).


Deuxième raison de ragoter!


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